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Entretien avec Giorgio Diritti

Dans le film"Volevo Nascondermi" à l'affiche cette semaine à l'Omnia, le réalisateur italien Giorgio Diritti met à l'honneur le peintre Antonio Ligabue. Pour en savoir plus sur l'artiste, la genèse du film, la prestation exceptionnelle d'Elio Germano, nous vous proposons cette interview de Giorgio Diritti tirée du dossier de presse des films Bodega.


Né en 1959 à Bologne, où il habite encore aujourd’hui, Giorgio Diritti a réalisé des courts-métrages, des documentaires et quatre longs métrages, dont le plus connu à ce jour est L’Homme qui viendra (2009), primé aux David di Donatello – les César italiens – récit du massacre de Marzabotto perpétré par les Nazis en Emilie-Romagne à l’automne 1944, un Oradour italien. Son nouveau film, traduit Je voulais me cacher, a été présenté au Festival de Berlin 2020 où son acteur principal, Elio Germano a été récompensé de l’Ours d’argent du meilleur acteur.


Pourquoi avoir voulu raconter la vie d’Antonio Ligabue ? Je connaissais Ligabue depuis longtemps comme peintre, et la région où il a vécu m’est familière. Il se trouve qu’en me rendant à Gualtieri, le petit bourg où il a passé une grande partie de sa vie, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes qui l’avaient connu, certaines aujourd’hui assez âgées. J’ai découvert une réalité qui allait au-delà de ce que je savais de lui, notamment par les quelques images documentaires qui ont survécu. Il y avait là une complexité qui m’a fasciné : l’histoire d’une personne qui n’a pas eu de chance, que la vie a même accablée de problèmes, mais qui a lutté pour réussir à trouver sa place dans la société. Pour la plupart, les témoins à qui j’ai parlé étaient enfants ou adolescents quand leur chemin a croisé celui de Ligabue. Mais il y en a aussi un, Sergio Negri, qui est devenu le plus grand connaisseur et l’expert reconnu de la peinture de Ligabue. Son apport et ses récits ont été précieux. C’est au contact du peintre, alors qu’il était très jeune, qu’il a décidé de faire des études d’histoire de l’art. Sa vie a été conditionnée par la présence de Ligabue.


Votre film n’est pas un « biopic » au sens classique, le récit est volontairement morcelé. Tout en respectant ce que l’on sait de la vie de Ligabue, j’ai cherché à faire un film qui ne soit pas purement biographique, mais qui soit émotionnel. J’ai cherché à raconter ses émotions, comment il a vécu, son isolement, des difficultés, ses rêves, et même ses amours fantasmés. Cela me semblait plus intéressant. Nous tous dans la vie avons éprouvé le sentiment d’être rejetés ou jugés, en tout cas d’être inadéquats au monde, au sens le plus ample. Voilà le projet du film : dire l’histoire de Ligabue mais tendre un miroir à nous tous. Bien sûr, c’est un miroir déformé, amplifié par son parcours si singulier mais, en même temps, ce qu’il traverse et surmonte a beaucoup de points communs avec ce que nous vivons tous.

Ce que vous vivez vous-même en tant qu’artiste ?

Je n’y avais pas pensé immédiatement, mais quelqu’un m’a fait récemment ce parallèle. C’est fascinant qu’un homme aussi malchanceux de naissance ait ainsi lutté jusqu’au bout pour se réaliser, pour se dire artiste. Qui travaille dans le monde des arts comprend ce sens du provisoire, cette idée que toute chose que l’on tente est un pari. Moi-même, j’ai dû autoproduire mes premiers films. Ne rien lâcher, garder son courage, sa détermination, c’est l’exploit de Ligabue, qui s’achève sur l’idée forte d’un rachat. Son mérite est immense : avec ce qu’il a subi, on pourrait s’étonner qu’il n’ait jamais tenté de mettre fin à ses jours. Mais il a toujours préféré la vie même si elle était dure, même s’il accumulait les handicapsphysiques. Il n’a jamais abandonné et c’est cela qui m’intéressait en lui. Son parcours nous conduit à une réflexion importante sur la valeur de la « diversité ». Chaque personne a en elle une précieuse spécificité qui, au-delà des apparences, peut être un cadeau pour l’ensemble de la collectivité

Après la scène de la foire agricole, quelque chose s’apaise chez Ligabue, son existence s’illumine et le ton du film s’allège... L’idée était de raconter une fable un peu noire, un peu amère, mais qui chemine vers la joie. Au début, le monde qui l’entoure rappelle les archétypes du conte de fées dont on reconnaît certains des personnages : la marâtre, le père «ogre» qu’est le directeur du pensionnat, les mauvais garçons qui se moquent de lui, etc. Une fois que Ligabue devient adulte, alors, autour de lui, se crée un chœur de personnages - les villageois – d’où émergent quelques figures amicales, fondamentales pour sa réussite à venir. Car même quelqu’un comme Ligabue peut conquérir un moment de bonheur, de satisfaction et même de réussite économique. Il en fait un usage assez étonnant parce qu’il connait mal la valeur de l’argent, il s’achète des motos, des voitures ! Mais il réussit à être heureux. S’il parvient à ce stade de reconnaissance, c’est aussi parce qu’on l’a aidé, à l’image du sculpteur Renato Mazzacurati, qui lui a donné les moyens de s’exprimer par la peinture. Ce qui s’est passé assez beau. Ce film rappelle le souvenir d’une société qui accueillait mieux les gens différents. Bien sûr, il y a eu des gens hostiles ou moqueurs, mais il y a eu aussi ceux qui l’ont accueilli, qui l’ont nourri parfois. Aujourd’hui, il y a un rejet. Les services sociaux s’occupent des SDF ou des migrants, mais ce ne sont plus les gens ordinaires qui leur ouvrent leur porte, leur offrent de la soupe. La société d’aujourd’hui est plus réglementée, mais le sentiment y a moins sa part.

Comment expliquer le mystère de son don, cet art du dessin surgi sans apprentissage, sans culture picturale ? Effectivement, il aborde la peinture sans aucune technique picturale, sans connaître Van Gogh ou les fauves auxquels ses œuvres semblent en partie se rapporter. Ses toiles expriment un regard particulier sur la vie, elles la racontent comme une lutte continue pour ne pas succomber et aller vers le rachat. Ligabue a peint ce qu’il ressentait, ce qu’il avait envie de raconter, d’un pur point de vue émotionnel. Par exemple, il raconte le moment où une bête saute sur sa proie, et donc le contraste entre la vie et la mort. Ce n’était pas un paysagiste. Ses peintures sont l’expression de son sentiment intérieur, de ses désirs, de ses rêves. Il a ainsi peint une centaine d’autoportraits, ce qui est très intéressant. Cela montre sa nécessité de dire au monde : j’existe, je suis là, regardez-moi. Sa peinture dit son histoire, celle d’un enfant qu’on a rejeté, qu’on a abandonné, la blessure d’un migrant déporté dans un autre pays, quand on l’a expulsé de Suisse pour l’envoyer dans un pays, l’Italie, dont il ne parlait pas la langue... Rendez-vous compte : à l’adolescence, on l’enferme dans un asile juste parce qu’il dérange la famille à qui on l’a confié. Tout son parcours artistique est une réaction à cet enfermement sans cesse renouvelé.


Pourquoi avoir choisi Elio Germano pour jouer Ligabue et comment l’avez-vous dirigé ? Je l’ai choisi parce qu’il est l’un des plus grands acteurs italiens d’aujourd’hui. Il a une grande sensibilité et il a senti en Ligabue une figure à laquelle il pouvait se lier d’un point de vue affectif. Physiquement, il fallait quelqu’un capable de faire tout un parcours, depuis les jeunes années quand Ligabue arrive en Italie, jusqu’à la fin de sa vie. Cela tombait bien, Germano est un peu entre ces deux âges ! Bien sûr, le maquillage a favorisé sa transformation. Et en même temps, il l’a aidé à ne pas en faire trop, à garder une certaine mesure, à ne pas avoir à montrer à quel point Ligabue est laid, par exemple. Et la transformation de son apparence a aussi aidé ses partenaires sur le plateau à comprendre le personnage. Au-delà de l’acteur, il faut saluer un travail d’équipe qui inclut notamment les maquillages et les postiches de Lorenzo Tamburini et les costumes d’Ursula Patzak.

Comment Germano a-t-il recréé la gestuelle de Ligabue ? Il s’est inspiré des quelques images documentaires qui nous sont parvenues. Et aussi des récits de ceux qui ont connu Ligabue : il avait ces drôles de rituels, comme un désir d’identification, presque spirituel, aux animaux qu’il s’apprêtait à représenter, comme la nécessité de trouver l’énergie de l’animal pour mieux le dessiner. Elio les a réinventés avec beaucoup de liberté.

Dans les années 50 et 60, plusieurs documentaristes comme Raffaelle Andreassi ou Pier Paolo Ruggerini, se sont intéressés à Ligabue. De façon empathique, enthousiaste. On peut trouver quelques-uns de leurs films sur YouTube. En Italie, à l’époque, et notamment avant que la télévision ne se popularise, on projetait des courts-métrages documentaires avant chaque séance de cinéma. Il y avait une forte production, soutenue par l’Etat. C’était une façon de valoriser la connaissance du pays. Paradoxalement, ces histoires parfois archaïques étaient racontées en plein « boom » économique. Certains films de Pasolini ou de Fellini montrent ainsi le passage d’une société rurale à un monde plus moderne. Ligabue illustre ce paradoxe par sa passion pour les motos et les voitures. Germano en fait aussi un personnage souriant... Mais c’était la réalité. En recueillant des histoires de Ligabue, on nous a raconté comment il pouvait être drôle et sarcastique. Il faisait parfois rire involontairement par sa conduite excentrique, mais aussi parce qu’il avait un grand sens de l’ironie. Il suscitait des réactions très contrastées et beaucoup de gens se souviennent de son sourire comme celui d’un enfant. Il y a un cinéaste italien particulièrement attaché au monde rural avec qui vous avez travaillé, notamment dans son école de Vénétie, c’est Ermanno Olmi. Que reste-t-il de son influence ? J’ai été marqué par tous les gens que j’ai croisés et avec qui j’ai travaillé. Par exemple, je me suis occupé du casting en Emilie-Romagne des Voix de la Lune, de Federico Fellini, et c’est une rencontre qui compte dans mon parcours. Mais Olmi, bien sûr, c’est important aussi. Je garde de lui cette confiance très forte dans l’observation, la nécessité de prendre le temps de connaître les choses. C’est un souci qui traverse aussi le cinéma d’Alice Rohrwacher, avec qui je me sens beaucoup d’affinités. Ligabue pourrait être le cousin de Lazzaro, le jeune héros de Lazzaro Felice. Mais il pourrait être aussi un parent de Charlot !

Je voulais me cacher : pourquoi ce titre ? C’est un titre en mouvement, parce qu’en pensant à Ligabue, je pense immédiatement à un être en mouvement. Je voulais me cacher, parce que j’étais un enfant laid, rejeté, apeuré, parce que personne ne voulait s’approcher. Ce qui compte c’est la suspension de la phrase : Je voulais me cacher... mais finalement je me suis montré.


Compréhension

En vidéo et en italien !











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