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Quand Dino Risi refait son cinéma

UN FILM POLITIQUE

Sonego et moi-même nous cherchions une histoire pour Sordi. Il y avait déjà eu en Amérique, si je ne me trompe, un film qui s’intitulait Cavalcade et qui couvrait une période de dix ou vingt ans. Nous avons eu l’idée de faire une « cavalcade italienne » allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux premières années du boom économique. Le film était centré sur un problème qui n’est pas exclusivement italien : celui du compromis. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, il est toujours d’actualité ! A mon avis, Une Vie difficile, Le Fanfaron, Rapt à l’italienne, Au nom du peuple italien sont des films politiques. Cinéma politique n’implique pas forcément que les protagonistes soient des ouvriers et des politiciens. On a fait tant de films ennuyeux en partant de ce principe. Est politique tout film qui représente et explore un secteur, un moment de la société. Il me semble que toute une période de l’histoire italienne est représentée à travers ces quatre films.

LES MONSTRES SACRÉS Ces acteurs italiens incarnent les masques traditionnels de la « commedia dell’arte », transposés à l’écran. On se sert d’eux pour raconter l’Italie, car justement, ils « sont » l’Italie... Je pense que leur seul malheur a été de naître dans ce pays. Mais peut-on imaginer un Sordi ou un Manfredi d’origine anglaise ? S’ils étaient nés en Amérique leur pouvoir de séduction n’en serait que plus accentué. Tognazzi et Sordi représentent chacun une partie de l’Italie : Tognazzi, l’Italie située au-dessus de la ligne gothique, l’Italie grasse, celle qui mange ; Sordi, la partie en dessous, celle qui pratique l’art de la combine. Ce sont des acteurs « dialectaux », terme qui ne doit pas être pris au sens restrictif du mot, puisqu’en Italie on s’exprime en dialecte.

SIMPLICITÉ DE LA MISE EN SCÈNE Je n’ai jamais été un fanatique de la photo, ni de la décoration, ni des cadrages, ni des mouvements de caméra compliqués. A mon avis, la technique n’existe pas. Un metteur en scène a dit une fois : « Moi, j’écris avec une Dolly » (qui est une petite grue utilisée au théâtre). C’était une phrase dite pour impressionner les critiques, je crois, lesquels d’ailleurs ne le furent nullement et firent même de très mauvais commentaires sur ce cinéaste. Non, la technique n’est pas une de mes préoccupations. Je ne suis pas du tout technicien. Si une chose m’intéresse, je la regarde, je la suis. Dès qu’elle cesse de me captiver, je l’abandonne. C’est la raison pour laquelle mes films peuvent être discutables, mauvais même, mais jamais ennuyeux. Mes scènes sont en général très brèves, n’excédant jamais une ou deux pages de scénario. Je pense que l’on peut exprimer en quelques cadrages ce que les autres développent par de longs discours. Je coupe abondamment au montage, sans pitié. Je ne m’attache à rien. Certains de mes collègues écrivaient d’interminables articles dans les journaux pour se plaindre des producteurs qui leur avaient supprimé telle ou telle scène, et menaçaient de retirer leur nom du générique. Je suis incapable de me prendre à ce point au sérieux. Je n’ai pas de ces velléités. La défense des droits d’auteur me semble absurde, d’autant plus que le cinéma est le produit collectif d’une équipe. J’interroge toujours les membres de la troupe, y compris l’opérateur, pour connaître leur opinion sur la scène que nous tournons. Si elle n’obtient pas leur approbation, je l’élimine sans hésiter. L’idéal serait de faire comme les grands comiques du cinéma muet, Keaton par exemple, qui avaient la saine habitude de projeter le film à peine monté devant un public improvisé pour le lui faire « goûter » et qui coupaient sans pitié les scènes restées sans réaction.

Ma principale préoccupation sur le plateau est de réussir à obtenir la bonne distance entre la caméra et les personnages ou les objets. Je recherche toujours la simplicité. Et, de fait, des metteurs en scène tels que Bunuel, De Sica, Chaplin qui tournent avec simplicité, m’attirent beaucoup. Je ne dis pas que la caméra doive toujours rester immobile, comme chez Chaplin, mais je crois qu’on ne doit pas sentir sa présence. Bunuel me semble à cet égard être le meilleur de tous. Il tourne comme il respire. On ne sent jamais la présence de la « caméra ». Mais ses films sont si bien élaborés que la présence du moyen mécanique n’est nullement gênante : son écriture est tellement soignée ! Je déplace la caméra lorsque c’est nécessaire, au moment opportun. Je ne pars jamais de l’œil d’un personnage pour arriver à ses pieds, je ne tourne pas autour des acteurs. Ce sont des opérations de cinémathèque dépourvues d’intérêt pour moi.

Le Cinéma italien parle - Aldo Tassone - Editions Edilig


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