Elève du Circolo italiano, Martin partage avec nous ses impressions sur l'un de ses coups de coeur en littérature italienne Sangue giusto.
Sangue giusto, romanzo di Francesca Melandri, Rizzoli editore, 2018
Traduction française : Tous sauf moi, Gallimard 2019, disponible en collection Folio
En ce début d’été à Rome, Ilaria Profeti, enseignante quadragénaire, rentre chez elle
d’humeur maussade : sa voiture, garée sur le Lungotevere, a été emmenée à la fourrière
en prévision du passage, le lendemain, du cortège officiel du colonel Khadafi, en visite
officielle en Italie à l’invitation de Berlusconi. Mais elle n’en a pas fini avec l’Afrique et
ses surprises : alors qu’elle s’apprête à entrer dans son appartement, sur le palier, un
jeune Ethiopien se présente à elle comme étant son neveu, autrement dit le petit-fils de
son père Attilio Profeti…
A partir de là, le roman suit deux trajectoires qui ne cessent de se croiser, celle d’une
histoire familiale (inventée) et celle de l’histoire (vraie) de l’Italie. D’une part, le récit
des péripéties dramatiques du jeune migrant : son impensable périple de l’Ethiopie
jusqu’à l’Italie à travers le désert, l’enfer libyen et la traversée de la Méditerranée ;
son arrivée en Italie, dans un camp de réfugiés, entre espoirs, attentes interminables et
refus. D’autre part, la vie aventureuse d’Attilio Profeti, toujours protégé par sa bonne
étoile, qui traverse sans dommages le Novecento (le XX° siècle) et ses soubresauts :
d’abord membre des Chemises Noires et fonctionnaire du régime fasciste, il travaille
ensuite avec Lidio Cipriani (1892-1962), ethnologue qui inspirera le Manifeste de la Race
(1938) ; Attilio participe comme volontaire à la conquête de l’Ethiopie ; revenu en Italie,
il sort indemne de la guerre civile (1943-1945), fait carrière dans les cabinets
ministériels, mène une double vie familiale, s’enrichit … et passe à travers les filets des
enquêtes anti-corruption du début des années 1990 (opération Mani Pulite). En 2010, à
95 ans, il n’est plus en mesure de faire le point sur sa vie passée…
Le titre italien du roman (Sangue giusto, sang juste) vient d’une erreur de traduction de
l’expression latine jus sanguinis (droit du sang) lorsque le jeune Ethiopien demande sa
signification pendant sa migration. Comme son grand-père est Italien, le droit du sang
doit lui permettre d’être lui aussi Italien : ainsi espère-t-il avoir le « sang juste » qui lui
permettra de rester en Italie…
Ce livre de Francesca Melandri parle du temps présent : migrants clandestins,
demandeurs d’asile, expulsions, relations troubles entre l’Italie de Berlusconi et la Libye
de Khadafi (et leurs effets catastrophiques sur le destin des migrants). Mais il parle
surtout de l’Italie du passé, celle du Novecento que la mémoire collective a tôt fait
d’oublier : les lois raciales de 1938, la conquête de l’Ethiopie et ses crimes de guerre
(utilisation de gaz asphyxiants, entre autres), la pratique du madamato, liaison entre un
colon ou un soldat italien et une (très) jeune fille africaine dès lors appelée « madama ».
Pour autant Sangue giusto n’est pas un récit manichéen : malgré son passé fasciste,
affairiste et machiste, Attilio Profeti n’est pas présenté comme un monstre. Sa fille
Ilaria , « prof de gauche » et humaniste, a une relation suivie avec un arriviste berlusconien etc. C’est aussi un récit sur l’identité : identité du jeune Ethiopien dont le grand-père est italien, identité d’Ilaria qui ne connaît pas tout le passé de son père et se découvre des frères dont elle ignorait l’existence…
Da leggere, per diversi motivi ! Se vuoi ascoltare o leggere un’ intervista a Francesca
Melandri
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