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Tre piani : "Personne ne restera indifférent"

Par Eshkol Nevo, auteur du roman Trois Étages


Le livre Trois étages n'a pas été écrit en réaction à l'épidémie de Covid-19. La merveilleuse version cinématographique de Nanni Moretti a également été tournée, montée et prête à sortir avant que des expressions comme "confinement", "distanciation sociale" et "isolement" ne fassent partie de nos vies. Et pourtant, lorsque j'ai vu le film la semaine dernière, je n'ai pu m'empêcher de penser qu'il arrivait sur grand écran au bon moment. Après des mois au cours desquels nous avons été contraints de garder nos distances, au cours desquels nous avons été séparés de force de nos parents et de nos amis pendant de trop longues périodes, TRE PIANI nous rappelle avec

force combien les relations intimes sont porteuses de bienfaits et de difficultés : au sein des couples, entre parents et enfants, entre voisins. L'impressionnante scène d'ouverture (un conducteur perd le contrôle de sa voiture et fonce droit dans une maison, la voiture s’encastrant

dans le mur) est le prologue à tout ce qui va arriver aux protagonistes de cette histoire, qui sont destinés à se heurter encore et encore. Dans certains cas, les conséquences seront dramatiques. Dans d'autres, il y aura une rédemption. Mais personne ne restera indifférent ou intact.

Un jour, il y a presque quatre ans, un e-mail a atterri dans ma boîte de réception. Il était signé de l'un de mes réalisateurs préférés, Nanni Moretti. J'ai lu votre livre, avait-il écrit. J'aimerais avoir l’autorisation de l'adapter pour le grand écran. J'avais peur que ce soit un imposteur.

Un faux Nanni Moretti. J'ai donc répondu, prudemment : je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'expliquer votre vision artistique. En réponse, j'ai reçu un document détaillé de deux pages : nous allons tourner à Rome, écrivait Moretti. Nous devrons entrelacer plus

étroitement les différentes parties du livre. Donner aux manifestations que vous décrivez un contexte plus européen. Mais je vous donne ma parole que mon adaptation cinématographique préservera ce qui constitue le cœur de votre livre. Le cœur de mon livre est sombre, me

suis-je dit. Le cinéma commercial détourne généralement son regard des questions urgentes qu'il soulève, sur les relations de couple et les relations avec les enfants. Et pourtant, si quelqu'un pouvait relever le défi, ce serait bien le réalisateur de JOURNAL INTIME, LA CHAMBRE DU FILS et MIA MADRE. Vous avez ma permission, ai-je écrit au vrai Nanni Moretti. A une condition : je ne m’en mêlerai pas. Je ne veux pas lire le scénario. Ni approuver le casting. Je ne veux pas venir en salle de montage. L'expérience des précédentes adaptations de mes livres m'a appris que moins j’étais impliqué dans le processus, meilleur était le résultat. Seulement, si possible, ai-je conclu, je vous demande de me montrer le film quand il sera terminé.


Cette semaine, j’ai vu deux fois TRE PIANI. La première fois, j'étais très occupé, peut-être trop occupé, à déterrer des traces du livre à l'intérieur du film. Comme il se doit, j'ai surtout remarqué les changements apportés. Et j'ai regretté tout ce qui a été perdu dans l'adaptation. En le voyant pour la deuxième fois, je me suis senti plus libre de ressentir des émotions. J'ai laissé le film me pénétrer. Me bouleverser. J'ai pleuré, j'ai ri. Je me suis souvenu de l'anxiété qui m'avait saisi pendant l'écriture du livre, je me suis souvenu des raisons secrètes qui m'ont poussé à l'écrire. Quand le générique de fin a défilé, je me suis dit : ils n'ont pas eu peur. Le réalisateur, les scénaristes, les acteurs. Ils ont regardé directement dans les coins les plus sombres de nos âmes, et les ont éclairés avec la lanterne magique du cinéma : est-il possible que, parfois, il soit préférable pour un fils de rompre avec ses parents ? Comment se comportera une femme dont le mari l'oblige à choisir entre lui et son fils ? Comment distinguer une saine préoccupation parentale d'une obsession morbide ? Que cachent nos voisins derrière leur porte fermée ? Et que faire lorsqu'un corbeau noir apparaît dans votre salon et refuse d’en partir ? Le film n'offre pas

de "réponses scolaires" à ces questions. Une œuvre d'art honnête ne fournit jamais de réponses. Elle ne fait que poser d'autres questions.


Il y a dix ans, dans mon petit studio en Israël, j'ai écrit un livre intitulé Trois étages, composé des trois confessions distinctes de trois pécheurs solitaires. Ils vivent dans le même immeuble sans se rendre compte de la souffrance des autres. Le film TRE PIANI brise cette solitude. Elle entremêle les vies des protagonistes. Il leur permet de se blesser et de se guérir mutuellement. D’avoir des motifs de haine et de se pardonner mutuellement. Et cela nous rappelle - et combien il est important de s'en souvenir après cette année difficile - que notre bien-être est toujours, mais toujours, lié au bien-être des autres.




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